# HG changeset patch
# User Riwad Salim La notion d’information, qui n’avait alors jamais été mobilisée dans l’histoire de la philosophie , est apparue dans le champ théorique à la suite de
- plusieurs événements scientifiques : la publication de la théorie de la communication de Shannon en 1948, la mécanisation de certains calculs avec la
- première implémentation d’une machine équivalente à celle de Turing (ENIAC) en 1945, et la découverte de la structure de l’ADN en 1953. En 1962, cette
- notion fait l’objet du colloque de Royaumont consacré à la cybernétique . En 1970, elle est mobilisée dans La logique du vivant , qui pose la question de
- l’information génétique. Dans les années 1980, elle nourrit les sciences cognitives et le computationnalisme, qui considèrent la pensée comme un processus
- de traitement de l’information pouvant être implémenté dans une structure électronique. L’information devient ainsi le fondement d’une conception mécaniste du vivant, qui réduit la vie biologique (l’organisme) à des mécanismes et d’une
- conception cognitiviste de la pensée, qui réduit la vie noétique (l’esprit) à la cognition. La première conduit à des volontés de maîtrise et de
- transformation du fonctionnement des êtres vivants, qui ont de nombreuses conséquences problématiques, des OGM à la santé environnementale. La seconde
- engendre des volontés de contrôle des pensées et des cerveaux, qui se manifestent par les projets transhumanistes de téléchargement de l’esprit ou
- d’implants cérébraux, mais aussi et d’abord par les « applications », pour smartphone notamment, dont le design a pour objectif de capturer et d’exploiter
- l’attention des individus psychiques. En effet, l’information n’est pas seulement un concept opératoire au fondement des technosciences contemporaines : elle est aussi une réalité technique
- et sociale qui ne cesse de se concrétiser, et de transformer en profondeur les rapports intergénérationnels qui constituent les sociétés. Dès 1944, alors
- que les industries culturelles audiovisuelles commencent à se développer, Theodor Adorno et Max Horkheimer dénoncent « la marée de l'information précise et
- d'amusements domestiqués » qui abêtit les hommes et envahit leurs vies quotidiennes. En 1979, alors que se poursuit « l’informatisation de la société »,
- Jean-François Lyotard déplore la transformation du savoir en « marchandise informationnelle » : les savoirs ne sont plus pratiqués collectivement mais
- « extériorisés par rapport aux sachants » et réduits à leur valeur d’échange, par ce qui sera ensuite décrit comme un « capitalisme cognitif ». Une
- trentaine d’années plus tard, Bernard Stiegler ne dira pas autre chose en décrivant le capitalisme computationnel comme une « anti-épistémè » : à l’époque
- de l’intelligence artificielle réticulée, tous les savoirs (faire, vivre et penser), autrement dit, tous les échanges en quoi consiste la vie psychique et
- sociale, sont soumis aux calculs et aux marchés, après avoir été transformés en données à travers les instruments de statistique, de mesure, de
- quantification et de logistique que constituent les algorithmes. Cette « digitalisation généralisée », qui correspond à une marchandisation de toutes les sphères de l’existence, ne cesse néanmoins de révéler son
- caractère pharmacologique : si l’apparition du web avait pu engendrer un certain nombre d’espoirs quant au renversement des pouvoirs
- « télé-techno-médiatiques », voire l’émergence de nouvelles utopies, l’avènement des réseaux sociaux, combinés aux smartphones et aux applications et
- contrôlés par quelques plateformes planétaires, ont mis fin aux rêves de décentralisation, de partage du savoir et de démocratisation : ce sont au
- contraire des « sociétés de contrôle » qui semblent s’être progressivement instaurées, dominées par des médias sociaux mémétiques, dont la toxicité en
- terme d’« écologie mentale » est désormais prouvée et dont les enjeux politiques n’ont pas fini de se manifester. Soumises au marketing et à la publicité,
- fondées sur la logique de l’audience, du buzz et du marché, les industries culturelles numériques poursuivent ainsi la destruction des relations entre
- générations que l’avènement de la télévision avait considérablement aggravé . Cette destruction s’opère à travers la « disruption » les différents types
- de savoirs qui composent et consolident ces relations : depuis les savoirs éducatifs menacés par la surexposition des jeunes enfants aux écrans et la
- captation toujours plus performante de l’attention des adolescents par les plateformes, jusqu’aux savoirs médicaux et scientifiques réduits à des quantités
- massives de données et leur traitement automatique , en passant par les différents types de savoirs vivre, exister et habiter, que la « smartification »
- des environnements urbains semble menacer. A l’heure du « screen new deal », qui correspond à une extension sans précédent du télé-travail et du télé-enseignement, il semble plus que jamais
- nécessaire de transformer le fonctionnement des « télétechnologies » informatiques et numériques, pour éviter ces effets de « prolétarisation généralisée »,
- qui menacent la vie politique et accélèrent la catastrophe écologique. Une telle tâche suppose néanmoins de repenser les modèles théoriques et économiques
- qui sont au fondement du fonctionnement de ces technologies.
+ Argumentaire et programme rédigés par Anne Alombert (UCL),
+ Victor Chaix (IRI) et Maël Montévil (IRI)
+
+ En proposant de prendre soin de l’informatique et des générations,
+ les Entretiens du Nouveau Monde Industriel 2020 poursuivent deux objectifs principaux :
+
+ . interroger les fondements théoriques de l’informatique
+ qui commandent le fonctionnement des technologies numériques contemporaines ;
+
+ . et concevoir de nouveaux dispositifs et de nouvelles pratiques pour mettre
+ ces technologies au service de la transmission, du partage et de la constitution de savoirs transgénérationnels.
+ Les modèles informationnels et computationnels de la vie biologique et noétique qui se sont imposés n’ont rien de nécessaires. Bien au contraire : une
- contre-histoire reste à écrire, montrant que les premiers spécialistes de la cybernétique se méfiaient de l’analogie entre machine et organisme et qu’Alan
- Turing lui-même n’aurait jamais osé comparer l’intelligence à un traitement de données. Dans le champ de la philosophie elle-même, de Bergson à Canguilhem,
- en passant par Lotka, Popper, Leroi-Gourhan et Simondon, une pensée de l’extériorisation technique a vu le jour, qui permet de dépasser les analogies entre
- machine et organisme comme entre ordinateur, cerveau et pensée. La machine ou l’ordinateur, produits par des vivants pensants et s’individuant
- collectivement, ne peuvent servir de modèles pour saisir le « fonctionnement » de ces mêmes vivants : ils ne constituent pas des modèles, mais des organes
- artificiels, c’est-à-dire, des supports dans lesquels s’extériorisent des fonctions motrices ou noétiques, fonctions qui évoluent donc avec les systèmes
- d’écritures et de calculs mécaniques, automatiques, analogiques, puis numériques. C’est cette co-évolution entre fonctions noétiques et organes
- exosomatiques que Bernard Stiegler décrivait comme une « exorganogenèse de la noèse », et qui devait selon lui constituer la base d’une « nouvelle
- informatique théorique ».
+ Nous tenterons ainsi de repenser la question de l’intelligence artificielle à partir
+ d’un nouveau paradigme théorique, qui ne se fonde plus sur l’analogie entre l’humain
+ et la machine, mais qui prenne en compte les interactions entre individus psychiques,
+ milieux techniques et organisations sociales : au lieu d’envisager la vie ou l’esprit
+ comme des processus de traitement d’information, comme le propose les paradigmes cybernétiques
+ et cognitivistes dominants, nous nous interrogerons sur le processus d’exosomatisation, à travers
+ lequel les vivants humains extériorisent leurs fonctions noétiques dans des organes artificiels,
+ qui peuvent ainsi devenir les supports d’une mémoire collective et de savoirs transgénérationnels dont il faut prendre soin.
+ Nous tenterons durant ces deux jours d’explorer cette voie, à la fois du point de vue de ses enjeux théoriques (1) et de ses enjeux pratiques et
- politiques (2).
+ Nous tenterons ensuite de traduire ces questions théoriques en terme de conception
+ et de développement technologiques. Comment réaliser des plateformes numériques au service
+ des relations sociales et intergénérationnelles, aujourd’hui menacées par les applications addictives
+ et l’économie des données ? Comment intégrer dans les dispositifs computationnels des fonctions délibératives
+ et interprétatives, qui dépassent toujours les programmes calculables en produisant des bifurcations improbables ?
+ Comment transformer les technologies de l’information et de la communication en supports de mémoire, d’interprétation,
+ de délibération et d’invention, au service du partage des savoirs et de l’intelligence collective, et pour répondre aux
+ enjeux de l’ère post-vérité ? En un mot, comment penser un web herméneutique et transgénérationnel ?
+ (1) En quoi la prise en compte du processus d’exosomatisation permet-elle de dépasser le paradigme de l’information, et implique-t-elle de repenser
- jusqu’à la notion même d’intelligence artificielle ? Comment transformer l’objet de l’interrogation théorique, afin de ne plus se focaliser sur la machine
- elle-même, et sur ses potentielles performances computationnelles, mais d’envisager son couplage avec les individus psychiques au sein d’organisations
- sociales, économiques et politiques ? En quoi cette étude des rapports entre organismes psycho-somatiques, organes techniques et organisations sociales
- permet-elle de renouveler les conceptions de la vie, de la technique et de l’esprit ? (2) Comment cette nouvelle approche « organologique » se traduit-elle en termes de conceptions et de développements technologiques ? Comment réaliser
- des dispositifs numériques prenant soin des relations sociales et des fonctions noétiques, en particulier celles des nouvelles générations ? Les
- technologies numériques peuvent-elles devenir autre chose que des puissances de calculs ? Peuvent-elles favoriser la délibération collective, le partage
- des savoirs et la réactivation des significations transgénérationnelles, plutôt que l’économie des données et le capitalisme computationnel ?
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Mardi 22 décembre : Repenser l’informatique théorique
09h30-12h30 - Session 1 : Vers une nouvelle informatique théorique : de l’information à l’exosomatisation, enjeux philosophiques, économiques et politiques
09h30 : David Bates (philosophie politique et épistémologie, histoire de l’IA, Berkeley University)
10h15 : Daniel Ross (philosophie politique, Institut de Recherches et d’Innovation ?)
09h30 : Introduction générale
10h00 : David Bates (philosophie politique et épistémologie, histoire de l’IA, Berkeley University)
10h30 : Daniel Ross (philosophie politique, Institut de Recherches et d’Innovation ?)
11h00 : Mathieu Triclot (philosophie, Université de technologie de Belfort-Montbéliard)
11h45 : Anne Alombert (philosophie, Université Catholique de Lille)
12h30 : Discussion
13h00 : Pause
11h30 : Anne Alombert (philosophie, Université Catholique de Lille)
12h00 : Discussion
12h30 : Pause
14h00 : 16h30 - Session 2 : Information et signification, de la vie endosomatique à la vie exosomatique : entre calcul et incalculable, entre biologie et informatique
14h00 : Maël Montévil (biologie théorique et épistémologie, IRI et IHPST, Université paris 1)
14h30 : Giuseppe Longo (mathématiques et épistémologie, CNRS et ENS, )
15h00 : Yuk Hui (informatique, philosophie de la technique, Hong Kong University ?)
15h30 : Jean Lassègue (anthropologie philosophique, CNRS LIAS)
14h00 : Yuk Hui (informatique, philosophie de la technique, Hong Kong University)
14h30 : Giuseppe Longo (mathématiques et épistémologie, CNRS et ENS) & Jean Lassègue (anthropologie philosophique, CNRS LIAS)
15h00 : Maël Montévil (biologie théorique et épistémologie, IRI et IHPST, Université paris 1)
16h00 : Discussion
16h30 : Pause
17h00 : 19h30 - Session 3 : Technologies de la langue, programmes musicaux et langages informatiques : des données calculables aux improvisations interprétatives
17h00 : Roberto Di Cosmo (informatique fondamentale et appliquée, Université Paris Diderot)
17h25 : Frédéric Kaplan (informatique et linguistique, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne)
17h50 : Michal Krzykawski (philosophie, Université de Silésie à Katowice)
18h15 : Bruno Bachimont (philosophie des techniques, Sorbonne Université)
18h40 : Gerard Assayag (musicologie et informatique, IRCAM)
19h05 : Discussion +
17h00 : Bruno Bachimont (philosophie des techniques, Sorbonne Université) - Sous réserve
17h30 : Frédéric Kaplan (informatique et linguistique, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne)
18h00 : Michal Krzykawski (philosophie, Université de Silésie à Katowice)
18h30 : Gerard Assayag (musicologie et informatique, IRCAM)
19h00 : Discussion
09h30 : 12h30 - Session 4 : L’individuation psychique et collective dans les milieux digitaux : données et profils, addictions et attentions
09h30 : Susanna Lindberg (philosophie et philosophie de la technique, Leiden University)
10h00 : Gerald Moore (philosophie et anthropologie, Durham University)
10h30 : Simon Woillet (philosophie et psychanalyse, Université Paris 3)
11h00 : Marie-Claude Bossière (pédopsychiatrie)
11h30 : Discussion
09h30 : Introduction générale
10h00 : Peter Szendy (philosophie et musicologie, Université Paris Nanterre)
10h30 : Gerald Moore (philosophie et anthropologie, Durham University)
11h00 : Simon Woillet (philosophie et psychanalyse, Université Paris 3)
11h30 : Marie-Claude Bossière (pédopsychiatrie, Institut de recherche et d’innovation)
12h00 : Discussion
12h30 : Pause
14h00 : 16h30 - Session 5 : Éducations et capacitation dans l'ère post-véridique : technologies numériques, médias sociaux et savoirs transgénérationnels
14h00 : Victor Chaix (étudiant et activiste, Institut de Recherche et d’Innovation et Association des amis de la génération Thunberg)
14h30 : Maxime Barillaud (enseignement et référent numérique, Collège Poincaré)
14h55 : Bruno Patino (journalisme, Arte France)
15h20 : Yves Citton (littérature et média, Université Paris 8)
15h45 : Franck Cormerais (sciences de l’information et de la communication, Université Bordeaux Montaigne)
16h10 : Discussion
14h15 : Tyler Reigeluth (philosophie, Université Catholique de Lille)
14h45 : Franck Cormerais (sciences de l’information et de la communication, Université Bordeaux Montaigne)
15h15 : Maxime Barillaud (enseignement et référent numérique, Collège Poincaré)
15h45 : Discussion
16h30 : Pause
16h00 : 18h00 - Session 6 : Recherche et design dans les milieux digitaux : des programmes aux bifurcations
+17h00 : 19h30 - Session 6 : Recherche et design dans les milieux digitaux : des programmes aux bifurcations
16h00 : Tallulah Frappier (design d’interaction et plateformes de délibérations, ENS Cachan)
16h25 : Anthony Masure (philosophie et design, Université Toulouse - Jean Jaurès)
16h50 : Samuel Huron (design et design d’information, Télécom Paris)
17h15 : Sébastien Massart (directeur de la stratégie de Dassault Systèmes)
17h40 : Noël Fitzpatrick (digital studies network, Université Technologique de Dublin)
18h05 : Discussion
17h00 : Tallulah Frappier (design d’interaction et plateformes de délibérations, ENS Cachan) & Samuel Huron (Mines-Telecom)
17h20 : Anthony Masure (philosophie et design, Université Toulouse - Jean Jaurès)
17h40 : Stéphane Crozat (Framasoft et UTC)
18h00 : Sébastien Massart (directeur de la stratégie de Dassault Systèmes)
18h20 : Noël Fitzpatrick (digital studies network, Université Technologique de Dublin)
18h40 : Discussion