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     5 <h1>La pratique peut-elle être une instance de jugement aujourdhui ?</h1>
       
     6 <h2>Ethique foucaldienne et art contemporain</h2>
       
     7 <br/>
       
     8 <p align="justify">Ce nouveau séminaire 
       
     9 aura pour objet l&rsquo;articulation de la pratique artistique et du jugement 
       
    10 critique. Il prendra appui sur un séminaire engagé en 2006 à Paris 
       
    11 X, consacré aux impasses formalistes auxquelles s&rsquo;est confronté 
       
    12 l&rsquo;art conceptuel et néo-conceptuel. En nous appuyant sur les écrits 
       
    13 de Jeff Wall, nous avions étudié comment l&rsquo;interrogation de l&rsquo;institution 
       
    14 par les pratiques conceptuelles et néo-conceptuelles de l&rsquo;art avaient 
       
    15 succombé à une institutionnalisation de ces pratiques, et un mouvement 
       
    16 de retour à des positions formalistes plus ou moins explicites, et, 
       
    17 par voie de conséquence, au renforcement de la lecture greenbergienne 
       
    18 de l&rsquo;histoire de l&rsquo;art moderne. <br/></p>
       
    19 <p align="justify">      Ces 
       
    20 analyses nous ont amené à reposer l&rsquo;importance pour l&rsquo;art, pour 
       
    21 sa production comme pour sa réception, de la notion d&rsquo;expérience 
       
    22 sans contenu. « L&rsquo;expérience esthétique nous forme, modifie nos 
       
    23 sentiments et nous transforme : c&rsquo;est pourquoi, selon Kant, on a besoin 
       
    24 d&rsquo;art ». (Jeff Wall, Ecrits et entretiens, p.29). La critique doit 
       
    25 passer « par » nous, si nous voulons en devenir les agents. Ce que Kant 
       
    26 appelle « jugement » dans la Troisième Critique est l&rsquo;appréciation 
       
    27 « sentimentale » de cette formation par l&rsquo;expérience esthétique. 
       
    28 L&rsquo;exercice du jugement s&rsquo;oriente à partir du « jeu des facultés » 
       
    29 et suppose que ce jeu puisse être appréhendé dans ses accords comme 
       
    30 dans ses désaccords, comme plaisir ou comme déplaisir. Mais cette 
       
    31 appréhension n&rsquo;est pas intuitive : elle doit être réfléchie à 
       
    32 partir d&rsquo;une forme « une » que Kant identifie à la forme de l&rsquo;entendement. <br/>
       
    33 </p>
       
    34 
       
    35 <p align="justify">      Tout 
       
    36 en conservant l&rsquo;essentiel de cette notion d&rsquo;expérience esthétique, 
       
    37 la modernité a contesté  que cette forme « une » puisse être 
       
    38 donnée a priori. Comme le montre l&rsquo;histoire de la forme-tableau au 
       
    39 moins depuis Manet, elle a montré et travaillé le caractère historique 
       
    40 et artificiel de cette forme. Mais surtout elle a montré qu&rsquo;elle 
       
    41 devait être pratiquée pour donner lieu à expérience. La modernité 
       
    42 a ainsi insisté sur la force non seulement formative mais transformatrice 
       
    43 de l&rsquo;expérience esthétique. Ce qui a donné lieu, du côté de la 
       
    44 production, à l&rsquo;abandon « du » medium pour l&rsquo;expérimentation des 
       
    45 media, et, du côté de la réception, à la problématisation de la 
       
    46 forme-musée. C&rsquo;est ainsi que le jugement s&rsquo;est élargi jusqu&rsquo;à 
       
    47 inclure la pratique comme une de ses dimensions. </p>
       
    48 <p align="justify">      L&rsquo;articulation 
       
    49 du jugement et de la pratique est au coeur de l&rsquo;expérience artistique 
       
    50 moderne, qu&rsquo;on la considère du point de vue de la réception ou de 
       
    51 la production. Elle pourrait être définie par le mot de « justesse » 
       
    52 qui ajoute aux deux premières, jugement et pratique, la notion fondamentale 
       
    53 de « balance » ou de critique. La justesse désigne la manière dont 
       
    54 la transmission artistique de l&rsquo;expérience peut transformer les données 
       
    55 esthétiques de cette expérience.  <br/></p>
       
    56 <p align="justify">      Le 
       
    57 séminaire à venir partira de ces formulations et reformulations de 
       
    58 la modernité et les reprendra à la lumière du discours philosophique 
       
    59 de Michel Foucault et de son analyse de la modernité comme « réflexion 
       
    60 du présent » telle qu&rsquo;elle est proposée dans les différentes versions 
       
    61 de l&rsquo;essai de 1984 Was ist Aufklärung. Foucault relance dans ce texte 
       
    62 le projet kantien de modernité critique, à ceci près que le sujet 
       
    63 de la réflexion n&rsquo;est pas le sujet de l&rsquo;entendement et ses capacités 
       
    64 de schématisation mais ce qu&rsquo;il appelle les savoirs, c&rsquo;est-à-dire 
       
    65 les formules épistémologiques qui en s&rsquo;effectuant sous la forme 
       
    66 de techniques opérent, sans l&rsquo;intervention précisément d&rsquo;aucun 
       
    67 jugement, le contrôle des modes d&rsquo;individuation. Comment dénouer 
       
    68 le lien fatal entre maîtrise technologique et domination bio-politique ? 
       
    69 ou encore comment déconnecter la « croissance des capacités et l&rsquo;intensification 
       
    70 des relations de pouvoir » ? Telle est la question à laquelle se trouvent 
       
    71 confrontées les Lumières contemporaines. <br/></p>
       
    72 <p align="justify">      Dans 
       
    73 ce contexte, Michel Foucault réintroduit la fonction du « jugement » 
       
    74 à partir de l&rsquo;expérimentation des pouvoirs conférés aux savoirs 
       
    75 par les techniques. L&rsquo;expérimentation par exemple des pouvoirs sur 
       
    76 les corps conférés aux théories sociales occidentales par les techniques 
       
    77 d&rsquo;administration de la vie et de la mort. Conduite dans un esprit 
       
    78 de transgression méthodique, cette expérimentation des moyens non 
       
    79 plus en vue de leurs fins « propres » mais indépendamment de ces fins, 
       
    80 voire contre  elles, « autorise » une réflexion de ces moyens, 
       
    81 et, avec elle, l&rsquo;invention de formules épistémologiques neuves. 
       
    82 Le jugement désigne dans ce contexte la « conduite » de la transgression. 
       
    83 Pour que la transgression puisse donner lieu à des modes d&rsquo;individuation 
       
    84 qui excèdent les « programmes de contrôle »  sans pour autant 
       
    85 sortir du terrain de l&rsquo;expérimentation partageable, voire universalisable, 
       
    86 -ce en quoi Foucault demeure un Aufklärer- elle doit en effet être 
       
    87 dirigée. Cette conduite, direction ou pratique relève d&rsquo;un art du 
       
    88 jugement ou ethos que Michel Foucault réfère aux techniques de soi 
       
    89 antiques et chrétiennes. Et tout particulièrement aux arts de la mémoire. 
       
    90 Le jugement devient dans sa pensée « souci de soi ».  <br/>
       
    91 </p>
       
    92 <p align="justify">      Qu&rsquo;en 
       
    93 est-il aujourd&rsquo;hui de cet art du jugement, autrement dit de la possibilité 
       
    94 de conduire l&rsquo;expérimentation des modes de contrôle impliqués par 
       
    95 les technologies contemporaines dans le sens de la transgression de 
       
    96 telle manière qu&rsquo;elle puissent servir de nouvelles formules épistémologiques 
       
    97 et des modes d&rsquo;individuation inédits ?  <br/></p>
       
    98 
       
    99 <p align="justify">      Michel 
       
   100 Foucault lègue cette question ; il n&rsquo;y répond pas, s&rsquo;étant consacré 
       
   101 à l&rsquo;articuler dans le contexte de savoirs médiatisés par les techniques 
       
   102 de production et d&rsquo;administration du 19<sup>ème</sup> siècle. C&rsquo;est 
       
   103 pourquoi sa théorie a pu être mise au service de la défense des identités 
       
   104 et récupérée par des épistémologisations à vocation identitaire, 
       
   105 ce qui n&rsquo;était assurément pas son propos. Pourtant son intérêt 
       
   106 pour les arts de la mémoire sur lesquels reposent les techniques de 
       
   107 soi traditionnelles est de première importance pour la compréhension 
       
   108 de ce que peut être une pratique transgressive de nos outils. <br/>
       
   109 </p>
       
   110 <p align="justify">      L&rsquo;articulation 
       
   111 savoirs/pouvoirs passe aujourd&rsquo;hui par les technologies de reproduction 
       
   112 et d&rsquo;archivage, et le contrôle politique des sociétés s&rsquo;exerce 
       
   113 par l&rsquo;intermédiaire des appareils collectifs de mémorisation.  
       
   114 Avant de s&rsquo;exercer sur les individus, les pouvoirs des systèmes de 
       
   115 programmation s&rsquo;exercent sur l&rsquo;information elle-même. La question 
       
   116 est donc de savoir ce que signifient dans ce contexte nouveau et au-delà 
       
   117 du pragmatisme ambiant les concepts de réflexion, de transgression, 
       
   118 de jugement.  <br/></p>
       
   119 <p align="justify">      La 
       
   120 nouvelle forme de la relation de pouvoir est aujourd&rsquo;hui l&rsquo;information. 
       
   121 Cette information se réfléchit automatiquement en s&rsquo;archivant. Pour 
       
   122 que cette réflexion automatique devienne matière à expérimentation 
       
   123 il est nécessaire que cet archivage émancipe l&rsquo;information du programme 
       
   124 qui l&rsquo;a produite et la connecte avec d&rsquo;autres programmes. C&rsquo;est 
       
   125 le modèle rhyzomatique de l&rsquo;archive conçu par Gilles Deleuze « pour » 
       
   126 Michel Foucault, modèle actuellement pratiqué par de nombreux artistes. 
       
   127 Mais à quelle condition cette expérimentation est-elle transgression au 
       
   128 sens où Foucault l&rsquo;entend ? A condition qu&rsquo;elle émancipe l&rsquo;information 
       
   129 non seulement de « son » programme, mais de sa fonction de communication 
       
   130 soluble dans l&rsquo;opération de sa transmission, et que sa réflexion 
       
   131 ne soit pas simplement formelle mais réelle : qu&rsquo;elle produise non 
       
   132 seulement de la connectivité mais de l&rsquo;individuation. L&rsquo;information 
       
   133 est réfléchie sur un mode pratique dès lors qu&rsquo;elle est lue. Lue, 
       
   134 interprétée, documentée. L&rsquo;opération du jugement intervient ici 
       
   135 avec l&rsquo;intervention de la lecture, partie intégrante des techniques 
       
   136 de soi et des arts de la mémoire. <br/></p>
       
   137 <p align="justify">      Nous 
       
   138 pourrons alors faire retour vers l&rsquo;art contemporain, pour envisager 
       
   139 les modes de lecture, de réinscription et d&rsquo;archivage qu&rsquo;il met 
       
   140 en oeuvre comme autant d&rsquo;actualisations de la réflexion de Michel 
       
   141 Foucault. On s&rsquo;intéressera dans cette perspective à l&rsquo;oeuvre de 
       
   142 Chris Marker, de Pierre Huyghe et de Tatiana Trouvé. Il s&rsquo;agira au 
       
   143 cours de cette étape de proposer des représentations du jugement aujourd&rsquo;hui 
       
   144 tel qu&rsquo;il s&rsquo;exerce dans la production/réception artistique de manière 
       
   145 à pouvoir élargir ce concept de « lecture ». » <br/> <br/>
       
   146 
       
   147  <br/> <br/> <br/></p>
       
   148             
       
   149 	    </div>
       
   150 
       
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